Mis à jour le 24/07/2024
Malgré leur capacité à transformer la vie des personnes malentendantes, les appareils auditifs souffrent d'une image négative qui freine leur adoption. Se faire appareiller est souvent perçu comme un signe de vieillesse et de malentendance, plutôt que comme un moyen d'améliorer la qualité de vie. Cette perception profondément ancrée contribue à maintenir un stigma associé à l'utilisation de ces dispositifs. Cela a pour conséquence de limiter la démocratisation de l'appareillage auditif, malgré les avancées technologiques significatives qui rendent ces appareils plus efficaces et plus discrets. Plus de 50% des personnes ayant une perte auditive modérée à sévère ne porteraient pas d'aides auditives en raison de la stigmatisation sociale et des perceptions négatives*.
Dans un contexte où la perte d'audition est inévitable avec l'âge, il est crucial de changer cette perception pour encourager plus de personnes à adopter ces technologies bénéfiques. Les aides auditives modernes ne se contentent pas d'améliorer l'audition mais offrent également des fonctionnalités avancées, faisant d'elles des accessoires technologiques à part entière.
Pour explorer ces enjeux, Mikaël Menard, responsable de la formation chez Signia et docteur en acoustique ; Julien Nizard, directeur de l'audiologie chez Starkey ; et Jean-Baptiste Lemasson, directeur audiologie et formations chez GN Hearing France, partagent leurs visions sur la façon de surmonter les obstacles liés au stigma des aides auditives et sur les opportunités offertes par les nouvelles technologies pour transformer l'image de ces dispositifs.
Leurs perspectives mettent en lumière non seulement les défis mais aussi les stratégies potentielles pour faire évoluer les mentalités. En mettant l'accent sur la modernisation des aides auditives et en renforçant la communication autour de leurs avantages, il est possible de changer la perception publique et de rendre ces dispositifs plus acceptables et désirables pour tous.
Ce que l’on peut retenir en 3 points clés
Les aides auditives sont souvent décrites comme ayant une mauvaise image auprès du grand public. Se faire appareiller est en effet régulièrement perçu comme l’indicateur d’une malentendance et non pas comme l’accès à une meilleure audition. Est-ce que vous diriez que cette perception nuit au secteur de l’audition et à la démocratisation de l’appareillage en général ?
Jean-Baptiste Lemasson
Le problème c’est l'image que cela renvoie de se faire appareiller, et non pas l'aide auditive en elle-même. Je pense que le problème réside dans le fait de dire qu’être malentendant signifie vieillir. C'est lié à l'âge certes, mais ce n’est pas parce que je suis malentendant que je suis vieux. En revanche, le fait de ne pas prendre en soin sa perte d'audition, c'est vieillir plus vite.
Julien Nizard
On s'adresse, il est vrai, principalement à un public de personnes âgées. C'est la nature humaine qui fait qu'on perd de l'audition avec l'âge et qu'en grande majorité, nos patients ont en moyenne plus de 75 ans. Après, la personne de 75 ans de 2024 n'est pas du tout la même que la personne de 75 ans de 2004, donc on s'y adapte. Il y a un stigma qui est très fort par rapport à la surdité, par rapport à la perte d'audition et au port d'appareil auditif.
Jean-Baptiste Lemasson
Depuis le début, la moyenne d'âge diminue. Il y a 20 ans, c'était réservé aux personnes qui avaient 80, 85 ans avec une perte d'audition importante. Là, on arrive à proposer des solutions à des gens qui ont une perte d'audition de 30 décibels. On peut avoir une perte de 30 dB à 50 ans. Mais si l’on dit à une personne de 50 ans qu’il aurait un meilleur confort d’écoute en portant des aides auditives, il n'est pas prêt. En revanche si on lui propose une paire de lunettes car il devient presbyte, cela lui paraîtra normal. En réalité c’est le stigma de la pathologie, et non pas le stigma de l'aide auditive qui pose problème.
Julien Nizard
C’est une perception qui est encore bien présente en France, contrairement aux Etats-Unis par exemple. Quand il y a eu des fuites dans la presse comme quoi le président Chirac était appareillé, on s'est tout de suite demandé s’il était en capacité de continuer à présider, s’il avait toutes ses capacités intellectuelles, etc. Alors qu'il y a eu une scène assez marquante à la télé américaine où Bill Clinton faisait répéter et avait enlevé son appareil auditif devant les caméras pour montrer ça et qu'il assumait pleinement. C’est aussi l’aspect culturel qui fait que ce stigma est très installé en France et difficile à changer.
Mikaël Menard
L'aide auditive renvoie à cette image un peu vieillotte de l'appareil en lui-même comme du patient. C'est le grand-père qui a ses aides auditives parce qu'il n'entend pas bien. C'est le gros appareil encombrant sur l'oreille qui est stigmatisant. Les études montrent bien qu’il y a un blocage concernant le port d’aides auditives chez les nouveaux patients, dû à ce côté stigmatisant de l'appareillage.
L’idée c’est de faire en sorte que l'aide auditive ne ressemble plus à une aide auditive, pour que les patients qui ont des pertes légères, mais pour qui c'est très important de se faire appareiller, le fassent sans stigma et sans se dire qu’ils portent quelque chose qui ressemble aux appareils de leur grand-père. Et du coup, que ce soit plus facilement accessible.
Les aides auditives ne peuvent-elle pas suivre le même schéma que les lunettes et devenir des objets communs au point d'être utilisés par des personnes qui seraient normaux entendantes ?
Mikaël Menard
On aimerait bien. C'est un peu un des objectifs qu'on se fixe. C'est de faire en sorte que l'appareil auditif sorte de cette notion de handicap qui est véhiculée encore aujourd'hui. On essaie progressivement de se rapprocher de cette image d'oreille connectée et, à l'inverse, l'oreille connectée essaye de se rapprocher également de notre marché. Il y a vraiment cette convergence qui se met en place et on voit aujourd'hui qu’Apple commence à proposer sur les EarPods des fonctionnalités d'amélioration d'écoute. Pour vendre un appareil auditif aujourd'hui, il y a quand même une réglementation. Apple, demain, ne fera pas de l'aide auditive. Mais on voit quand même une convergence. Comme on peut l'avoir dans l'optique avec des des marques de lunettes de soleil qui font aussi de l'optique et inversement.
“Quand tu as un personnage sourd dans une BD ou au cinéma, c'est souvent quelqu'un qui débloque, dont on se moque plus facilement que quelqu'un qui voit mal”
Julien Nizard
Le parallèle avec les lunettes est très délicat parce que ça n'a pas du tout la même connotation dans la culture populaire. Quand tu as un personnage sourd dans une BD ou au cinéma, c'est souvent quelqu'un qui débloque, dont on se moque plus facilement que quelqu'un qui voit mal. Il y a plus de sensibilité ou de pitié en quelque sorte par rapport à la personne qui voit mal plutôt qu'à la personne qui entend mal. Donc, de façon générale, il y a un stigma très installé et difficile à enlever par rapport à la perte d'audition.
Maintenant, qu'est-ce qu'on fait pour le briser ? Déjà, on rend les appareils plus sexy d'un point de vue design. Aujourd'hui, les modèles qu'on vend le plus sont assez sympas, profilés, designés et ergonomiques pour que ce soit le plus confortable possible, mais surtout le plus discret également. Ensuite, on les connecte au smartphone, ce qui permet de briser ce stigma parce que c'est un objet connecté. Aujourd'hui, on peut utiliser l'appareil auditif comme un assistant., demander la météo de demain, lancer une traduction pour entendre quelqu'un qui me parle en chinois en français à travers mes aides auditives. Ce type de fonction modernise énormément l'image de l’aide auditive et permettent de communiquer différemment sur ce sujet.
Mikaël Menard
En fait, tout est en train de converger de manière à ce que le patient se retrouve confronté à cela lorsqu'il va voir son ORL pour une mauvaise audition, mais aussi à travers la communication grand public à tous les niveaux. Finalement, l'aide auditive commence à devenir quelque chose de plus standard, de plus universel, de plus commun, à l’image des lunettes.
Jean-Baptiste Lemasson
Si l'on fait le parallèle avec l’optique, notre soleil à nous, c'est le bruit. La pollution sonore, ce sont les UVs de l'audioprothésiste. Et l'audioprothésiste est spécialiste du son, pas de la surdité. C'est ça qui changera, je pense, dans l'avenir. La lunette de soleil, c'est aller voir un opticien quand on n'a pas de problème de vue. Cela vaut aussi pour les lunettes optiques. On a des lunettes sans correction juste pour la lumière bleue, c'est une correction visuelle. On peut avoir des lunettes de soleil juste pour le soleil mais également avec une correction visuelle. Proposer des solutions auditives, même si on n'a pas de problème d'audition, pour gérer la pollution sonore, pour pouvoir se connecter avec d'autres personnes... Ce sont ces choses qui pourraient faire suivre le même schéma aux aides auditives que les lunettes.
Mikaël Menard
Si je porte des lunettes, c'est effectivement aussi parce que j'ai un handicap visuel et j'ai besoin d'une correction. Mais aujourd'hui, tout le monde a compris que cela pouvait être également un accessoire de mode et qu'on le porte sans aucune crainte. C'est la vision du patient ou de la personne qui utilise l'appareil qui a besoin de changer. Mais le grand public commence à comprendre que l'aide auditive n'est pas uniquement liée à un handicap.
Julien Nizard
On voit que les choses évoluent petit à petit et qu'elles vont arriver à terme à ce qu'on observe aujourd'hui dans l'optique. Donc ce n'est pas qu'une question de fabricant ou d'éducation, c'est aussi la vision globale qui doit et qui va changer.
Quels seraient les facteurs clés qui pourraient permettre une évolution dans le bon sens de la perception des aides auditives ?
Julien Nizard
La démocratisation passera énormément par la communication et la dédramatisation. La réforme du 100% santé a énormément aidé en supprimant la barrière du prix et en normalisant le port d'appareils auditifs pour ceux qui entendent moins bien. Avant, il y avait beaucoup de déni et de décompensations. Aujourd'hui, on en parle beaucoup plus, on les voit à la télé, dans les magasins, dans la rue, dans les journaux. Cela aide à rendre le port d'aides auditives plus normal et accepté.
En apportant toutes ces fonctionnalités, on ne doit plus en faire un objet uniquement pour corriger une surdité, mais un objet désiré pour améliorer la vie sociale et la santé globale grâce à ses fonctions connectées. Cela contribue à la dédramatisation et à la normalisation de l'aide auditive.
Jean-Baptiste Lemasson
Je pense qu’une des clés est l’apport de nouvelles technologies dans les aides auditives. Des technologies comme Auracast peuvent réduire le gap de perception entre problème d’audition et optimisation d’écoute, démocratisant le port d'un objet sur l'oreille. Cela aidera à proposer des solutions auditives optimisées en taille et puissance de calcul, améliorant le quotidien des malentendants et la qualité du son grâce à une meilleure bande passante et un transfert de données plus rapide.
Auracast, c'est le Bluetooth du son, spécifiquement prévu pour ça. Cela permet une meilleure qualité sonore et un transfert de données plus rapide. Cela permet d'offrir des solutions auditives, qu'on entende bien ou non, pour se connecter à l'environnement et gérer la pollution sonore, qui pourront concerner tout le monde.
Mikaël Menard
On est en train aujourd'hui de faire passer l'aide auditive du domaine de la prothèse auditive, de cette notion de prothèse auditive qui ramène à cette notion de handicap à vraiment un outil, un accessoire qui pourra presque même être quelque chose qu'on pourra porter fièrement en quelque sorte. Il y a ce que les fabricants doivent proposer pour rendre l'appareil plus attractif : connectivité, design, facilité d'utilisation. Nous devons offrir différentes solutions, comme pour les lunettes, où certains préfèrent des modèles invisibles et d'autres des modèles colorés.
Ensuite, il faut changer la vision grand public de l'aide auditive, car aujourd'hui, elle est encore trop associée au médical et donc au handicap. Cette image doit évoluer pour que ce ne soit plus seulement perçu comme des dispositifs médicaux, mais aussi comme des accessoires utiles et désirables au quotidien, un peu comme des lunettes effectivement.
*Source : enquête Hear-it.org
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